ICHT Member (Belgium), 1969-2001
ICHT President 1993-2001
ICHT Honorary President, 2001-2002
Gand 1929 – Edegem, Anvers 2002
Adriaan Verhulst nous a quittés le 16 novembre 2002 à l’âge de septante-trois ans, au terme d’une maladie qu’il était persuadé d’avoir vaincue. Jusqu’à la fin de sa vie, il a conservé une activité débordante, goûtant la joie de voir paraître ces derniers temps deux ouvrages importants (The Rise of cities in North-West Europe et The Carolingian Economy publiés par les Cambridge University Press respectivement en 1999 et 2002) et abordant quelques semaines avant sa mort la rédaction d’un nouveau livre, une biographie des comtes de Flandre Thierry et Philippe d’Alsace : ils sont l’ultime synthèse en quelque sorte d’un demi-siècle de recherche historique.
Adriaan Verhulst est né à Gand le 9 novembre 1929. Cette ville, au confluent de l’Escaut et de la Lys qui drainent tout le pays de Flandre, a véritablement marqué toute son existence. A l’université de sa ville natale, il est séduit par l’enseignement de deux grands historiens élèves d’Henri Pirenne, François-Louis Ganshof et Hans Van Werveke ; ils l’attirent vers l’histoire médiévale. Sa licence obtenue en 1952, il aborde une thèse de doctorat monumentale qu’il défend quatre ans plus tard : il en sort un maître-livre de sept cents pages sur le patrimoine foncier de l’abbaye gantoise de Saint-Bavon du VII e au XIV e siècle publié par l’Académie royale flamande de Belgique (1958). Cet ouvrage contient en ferment tout ce qui alimentera cinquante années durant la vie scientifique d’Adriaan Verhulst.
Novateur, l’historien gantois l’a été dans tous les secteurs abordés, recourant systématiquement à une approche interdisciplinaire. Ses travaux ont jeté un jour nouveau sur le domaine carolingien et l’économie de cette époque en général.
L’histoire rurale a été un secteur d’investigation particulièrement fructueux dans lequel Verhulst a acquis très rapidement une renommée internationale. Son Histoire du paysage rural en Flandre, publiée d’abord en néerlandais (1965) puis en français (1966) et revue trente ans plus tard en s’appuyant sur un abondant matériel cartographique et iconographique (1995), est un chef-d’oeuvre d’érudition et de synthèse. Sa synthèse sur Le paysage rural a été accueillie en 1995 dans la collection “Typologie des sources du Moyen Âge occidental”.
Très rapidement, l’histoire urbaine devient un autre sujet de préoccupation et là aussi, Verhulst innove et remet en cause les thèses devenues classiques de Pirenne : il s’attache à l’étude des origines d’Ypres (1957), de Bruges (1960) et de Gand (1972), donnant ses lettres de noblesse à l’archéologie urbaine. Ses vues s’étendent bientôt à toutes les villes de l’Europe du Nord.
Toujours, Verhulst a travaillé sur archives, éditant maints textes fondamentaux, comme le gros brief de Flandre de 1187 (avec M. Gysseling) ou les actes des comtes de Flandre de la maison d’Alsace (1128-1191) (en collaboration avec Th. de Hemptinne). La diplomatique médiévale et les documents financiers de cette époque n’avaient plus de secrets pour lui.
Son enseignement à l’Université de Gand (où il fut successivement assistant, chargé de cours et finalement de 1965 à 1995 professeur ordinaire), axé essentiellement sur la géographie historique et l’histoire du paysage, a marqué plusieurs générations d’étudiants dont certains sont devenus ses collègues. Ses travaux sur l’évolution géographique de la plaine maritime flamande ont marqué l’historiographie.
Dans tous les domaines qu’il abordait, Adriaan Verhulst excellait et sa renommée en chacun d’eux débordait les frontières de son pays. Les honneurs – et les charges – académiques lui vinrent tout naturellement : il fut membre (et parfois président) notamment de la Commission royale d’Histoire, de l’Académie royale flamande de Belgique (1982), du Comité d’Histoire du Crédit Communal de Belgique (il encouragea la pratique de l’histoire locale), du Comité national belge des Sciences historiques, du Centre belge d’Histoire rurale et du Centre belgo-luxembourgeois d’Histoire urbaine.
Au moment de son départ à la retraite, ses collègues, élèves et amis lui offrirent un volume d’hommage : Peasants & Townsmen in medieval Europe. Studia in honorem Adriaan Verhulst, edit. J.-M. Duvosquel and E. Thoen, Gand, 1995, vol. in-8°, 787 pages (W. Prevenier & E. Thoen y retracent “The scholary career of professor Adriaan Verhulst”, pp. 15-30. et G. Declercq y donne “A bibliography of Adriaan Verhulst”, pp. 31-48, riche de 234 livres et articles).
Cette intense activité aurait déjà pu remplir plus d’une existence. Et cependant Verhulst fut présent également sur le plan politique au sein du monde libéral flamand, s’attachant à l’émancipation culturelle de la Flandre. Son influence sur la vie culturelle de celle-ci fut considérable, notamment grâce à ses fonctions de président du conseil d’administration de la Radio-Télévision flamande (BRT) en 1969-1980 et 1984-1988. Franc-maçon déclaré, il s’investit dans le rayonnement d’une libre-pensée humaniste.
C’est tout naturellement qu’à partir de 1967, il représenta la Belgique au sein de notre Commission internationale d’Histoire des Villes dont il suivit les travaux avec assiduité à partir de la fin des années 1980. Lors de la réunion de Meissen en 1991, ses collègues l’élirent président, mandat qui fut renouvelé à Berne en 1996.
Il ne put tirer lui-même le bilan de ses dix années de présidence, des ennuis de santé l’ayant empêché d’être parmi nous à Bologne en 2001 ; l’assemblée lui décerna alors par acclamation le titre de président honoraire de la Commission. Durant sa présidence, la Commission retrouva une meilleure cohésion. Elle s’élargit à de nouveaux pays et s’ouvrit à des délégués intercontinentaux. Verhulst attacha une importance particulière à l’entreprise éditoriale des atlas, secondé en cela par Francesca Bocchi, Ferdinand Opll et Anngret Simms. La série des bibliographies, déjà bien avancée avant son accession à la présidence, s’enrichit d’un volume auquel il tenait beaucoup, celui des villes françaises et luxembourgeoises (1998), auquel contribua notre collègue Michel Pauly. Ce fut une joie pour Adriaan Verhulst et un privilège pour moi d’accueillir en septembre 1998 la Commission à Spa, dans le bel hôtel qu’y avait alors le Crédit Communal de Belgique, pour y entendre les exposés sur le thème du moment, “La destruction et la reconstruction des villes”.
Le prestige attaché à cette personnalité hors format qu’il était aux yeux de ses contemporains n’a jamais empêché Adriaan Verhulst de rester un homme modeste, cordial et disponible, à l’écoute des autres et, fidèle à son idéal humaniste, généreux, attentif à ses proches et à la Société en général.
Nos chemins se sont souvent croisés depuis le jour de 1967 où, jeune étudiant présidant le Cercle d’Histoire de l’Université de Bruxelles, j’invitai à la tribune ce déjà prestigieux professeur. Depuis, il m’a apporté beaucoup dans l’amitié, la fraternité et la collégialité scientifique. Son souvenir demeurera vivant parmi nous.
Jean-Marie Duvosquel